Monday, May 31, 2010

Suspendue

London Air Services, Air Canada, Air New Zealand, Air Vanuatu, Unity Airlines, Central Mountain Air, Hawkair. Assise dans la queue d’un monstre volant à deux étages, dans le siège du copilote d’un petit avion de brousse, confortable dans le siège en cuir d’un avion nolisé. Au-dessus du Pacifique qui s’étend à l’infini, par-dessus les montagnes enneigées de la côte, survolant les forêts tropicales. Je rêve ma vie dans des avions, je me lève tôt pour me rendre à l’aéroport, attendre pour grimper et m’installer dans leurs ventres cylindriques, j’y somnole, m’endors, me réveille secouée par notre traversée de corridors de vents, serre les dents, regarde par le hublot les nuages et la mer et les iles et les villes.

À 950 km/h et 10,500m au dessus de l’océan, je sais que je remets ma vie entre les mains du destin, du pilote, des contrôleurs aériens, mécaniciens, techniciens. Rien à faire qu’attendre que les soubresauts du monstre enragé de combattre les courants aériens se calment, à part serrer très fort le coussin en fibre synthétique posé sur mes genoux. À 7,000 pieds d’altitude entre des dizaines d’îles tropicales, assise devant le tableau de bord et les touches que le pilote presse nonchalamment, je vois le ciel comme jamais auparavant. La traversée des nuages qui était autrefois projetée sur le hublot d’à côté sera dorénavant une expérience panoramique mélangeant les blancs et gris tout en profondeur. Le petit volant face à moi se trémousse de gauche à droite alors que l’avion se laisse balloter par ces masses d’air qui lui semblent si familières. Le pilote est penché sur son carnet de bord alors que l’avion zigzague entre deux corps bleus. Dans l’avion qui revient de Los Angeles sous la pluie et les vents de Vancouver je sens l’avion se déplacer par à coups vers le sud alors que la piste d’atterrissage se rapproche. Tout est gris dehors et comme s’il en avait assez de se faire culbuter, il fonce vers la tempête à toute vitesse et curieusement je me sens à l’aise, chevauchant fièrement ce cheval d’argent. En arrivant à Honolulu l’avion bondit de joie sur la piste, ses roues frôlant le sol et gambadant gentiment sur le tablier. Puis il continue sa course et freine docilement.

Lors de ma visite dans le Pacifique j’ai vu et vécu différemment. Trop d’événements à raconter pour que ce soit cohérent maintenant. Assise dans le Dash 8 qui m’amène cette fois au nord, je repense à mes dernières envolées et ce qui est arrivé entres elles. Aujourd’hui je repars pour le travail et c’est avec frénésie et une énergie retrouvée que je me prépare à passer la semaine la tête dans mon projet, le cœur avec mes coéquipiers et tous ces gens de la petite ville que j’ai hâte de retrouver. J’aime ce travail qui me permet de me garder la tête occupée, comme un casse-tête géant de détails techniques, relations interpersonnelles, contextes légaux, paramètres chimiques, méthodes approuvées, santé et sécurité. J’aime ce travail où je voyage de petite ville en petite ville et je rencontre ces gens qui ne sont pas à Vancouver, moi l’imposteure qui habite la grande ville, descendante de bucherons et fermiers, la fille qui se coupe les ongles trop courts et n’a pas de sac à main, féminine car la nature en a décidé ainsi, mais toujours prête à chiquer du tabac avec les gars.

Ma vie a aussi changé un peu depuis quelques mois, alors que j’apprends à connaître quelqu’un de nouveau et à vivre et survivre les débuts d’une relation. Moi qui me croyais si chanceuse d’être en couple pendant si longtemps avant, avant que tout se démantèle, morceau par morceau, bien avant la fin. Je crois que je commence à guérir de tout ça et je réalise que ce qui m’est arrivé n’arrive pas fréquemment, surtout à notre âge, on n’est plus naïf et on fait attention, les amis, le travail, notre vie, tout devient facilement plus important que s’investir à deux seulement. Et comme je vois tout différemment j’accepte cette situation et je m’y sens bien. Je repense à tous ces moments de frustration vécus alors que j’ai longtemps perdu certains amis de vue, alors que je ne faisais pas ce qui me plaisait, alors que ma la vie que je vivais n’étais pas celle qui me rends heureuse aujourd’hui. J’ai besoin d’équilibre et de vivre comme une jeune adulte, de m’entourer de mes amis, vivre dans la nature, jouer et bouger, manger des légumes à chaque repas, travailler aussi fort qu’il me le plait, monter à cheval, voyager et dépenser mon argent sans trop compter. Mais, voilà Mike me plait vraiment, il est drôle et attentionné, il aime la musique et boire trop quand il le faut, mes amis l’apprécient et il travaille fort et se garde occupé, il bouge et fait son chemin dans la vie. Alors on n’a pas trop le temps de se voir, encore moins d’avoir des conversations sérieuses. En attendant c’est moi qu’il choisit de voir dans ses temps libres et comme moi aussi je n’arrête pas de ne pas arrêter, je me dis que si on doit finir ensemble on ne s’ennuiera jamais, et surtout on ne s’oubliera jamais, car tous les deux nous sommes bien entourés, et tous les deux nous cherchons à remplir toutes les facettes de notre vie, professionnelle, sociale, amoureuse, etc.

Patience, foi en l’avenir, le Dash 8 roucoule doucement en survolant les terres du nord.